Pilgrimage in Marketplace (critique du livre)

 


Ian Reader est un chercheur britannique et l’auteur de l’ouvrage Pilgrimage in Marketplace sorti en 2013 aux éditions “Routledge Studies in Pilgrimage, Religious Travel and Tourism”. Ses recherches portent sur la place de la religion dans les sociétés modernes et son déclin, la sécularisation et le pèlerinage dans un contexte multiculturel.

Dans ce livre, Ian Reader examine les dimensions économiques du 巡礼 (junrei pèlerinage) dans le contexte japonais. Il développe son argument principal autour du caractère indissociable du marché du pèlerinage avec le sacré et le profane en défendant la thèse selon laquelle la pratique du pèlerinage doit sa popularité et sa survie à des éléments non intrinsèquement religieux tels que le tourisme, le marketing, la technologie et les médias. 

Tout comme la géographe Sylvie Guichard-Anguis qui mentionne aussi ces « déplacements de la population dès l’époque d’Edo à des fins ludiques, sous couvert d’autres activités associées à la religion ou à la santé » Ian reader souligne que le pèlerinage a toujours inclus un aspect récréatif et nous livre divers exemples d’activités situés à proximité de certains lieux religieux qui ont pu attirer et divertir les pèlerins sur leur route tels que les kaichō (開帳 ouverture du rideau), les meibutsu (名物 choses célèbres) ainsi que les boutiques et parfois même, durant l'époque d'Edo, les quartiers des plaisirs.

Si dès l'époque d'Edo les meisho (名所 lieux renommés) célébrés par la poésie japonaise et les estampes ont pu fortement inciter les pèlerins à visiter ces lieux durant leurs voyages, Reader veut attirer l’attention sur la nature compétitive du marché du pèlerinage à l’époque moderne, où les centres religieux sont poussés à collaborer avec les offices de tourisme et agences commerciales afin d’accroître leur clientèle en promouvant les paysages, l’héritage culturel et les facilités offertes selon les parcours.

Parmi les autres aspects souvent perçus par certains pèlerins et intellectuels comme « impropres » à la culture religieuse, Reader cite le consumérisme et l’acquisition de biens matériels à travers l’exemple de la vente abondante d’objets religieux et des お土産 (omiyage cadeaux souvenirs) Mais l’on pourrait également parler du 朱印帳 (goshuincho carnet de pèlerinage) dans lequel sont apposés des sceaux lors de chaque visite dans temple ou sanctuaire.

Jean-Pierre Berthon, ethnologue et anciennement chargé de recherche au CNRS note qu’au moment d’un décès le carnet de pèlerinage de son propriétaire est placé dans le cerceuil du défunt comme signe du mérite qu'il a acquis en visitant les sanctuaires et temples durant son vivant et pour lui assurer un passage aisé vers la Terre pure d'Amida (浄土 joudo).

Nelson H. Graburn, anthropologue américain, définit le 記念 (kinen souvenir) comme la «preuve d'avoir été à un certain endroit». Une fois collectés et détournés du circuit économique, ces objets sont dépourvus de toute valeur d’usage mais restent néanmoins porteurs de signification. 

Pour Krzysztof Pomian, historien, philosophe et essayiste, ces objets collectés qu’il nomme des « sémiophores » sont conservés pour leur signification et sont des représentants de l’invisible : d’un pays exotique, d’une société différente, ect. De la même manière, les objets tels que le お守り (omamori amulette) ou les sceaux dans un carnet de pèlerin servent à commémorer le voyage, agissent également comme des traces du temps et enfin, démontrent à quel point le sacré et le religieux sont profondément ancrés dans « notre monde».

Avec divers changements socio-économiques, politiques et technologiques, le tourisme moderne a considérablement modifié la façon de réaliser un pèlerinage, facilitant ainsi sa transition d'une pratique ascétique obscure à une activité touristique très populaire.

Cette activité perdure car les individus auront toujours envie de voyager pour découvrir d’autres cultures et se découvrir soi-même. Mais si elle persiste au Japon, c’est aussi en raison du nombre important de japonais qui effectuent certains rites religieux plus souvent par superstition que par une véritable croyance. On peut néanmoins se demander quelle place occupera dans le futur la technologie et les traces immatérielles dans les moyens de conservation de souvenirs et si ceux-ci seront également vus par certains comme des éléments pouvant diminuer le caractère religieux ou spirituel du junrei.

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